Hiroshi Naruse – Dans son nid
11 juillet 2019
L’architecte paysagiste japonais Hiroshi Naruse, gérant de l’atelier Kaba qui a notamment conçu les serres d’Auteuil rouvertes le 21 juin dernier, raconte sa vie d’homme libre en constante remise en question.
« Quelle est la différence entre le nid et la maison de l’Homme ? », questionne Hiroshi Naruse. L’architecte paysagiste de 67 ans, dans son atelier de Bourg-la-Reine aux airs d’arboretum, a gardé un regard vif et malicieux. La volonté de fabriquer « un nid », « une coquille », l’habite depuis ses premiers pas à l’école d’architecture, qu’il choisit faute de pouvoir convaincre ses parents d’étudier les beaux-arts.
« Le nid, c’est là où l’on n’invite jamais l’autre », répond-il enfin. L’habitat doit donc se composer, selon lui, d’une partie ouverte sur l’extérieur et d’un nid, l’espace le plus primitif du foyer. Notre mémoire primitive est un sujet qui le travaille : « je voudrais me souvenir de mes ancêtres en Afrique ou encore plus loin dans l’océan », lâche-t-il rêveur. Bon élève mais détestant l’école et les vérités imposées, le jeune Hiroshi passe le plus clair de ses années étudiantes dans les cafés, où il rencontre en 1964 celui qui deviendra son maître. Takamasa Yoshizaka, collaborateur de Le Corbusier et architecte haut en couleur, bouleverse sa « réalité linéaire » et le prend sous son aile pendant deux ans au sein de l’université Waseda de Tokyo. Dès lors, il s’efforcera de ressembler à ce modèle : « je n’enseigne rien et je détruis tout ce qu’il a proposé », dit-il dans un éclat de rire.
L’aventure française
En 1972, l’air du large l’appelle, davantage pour quitter la discipline nippone que pour se rendre dans un pays précis. Il est d’abord attiré par l’Inde mais, souhaitant vérifier ses a priori négatifs sur l’Occident, il monte dans le Transsibérien en direction de la France. Là, il goûte le vent de liberté post-68 et se passionne pour le dadaïsme. « L’urinoir de Duchamp, c’est magnifique ! », lance-t-il, comme étonné par sa propre audace.
Il gagne son premier concours pour un ensemble de 1 500 logements à Calais et rencontre son second maître : l’architecte designer français Jean Prouvé, grâce auquel il intègre l’équipe de conception du centre Pompidou aux côtés de Renzo Piano et Richard Rogers. A la fin du chantier en 1977, il reprend son indépendance et se lance dans des performances artistiques : « je fais un peu n’importe quoi », dit-il en souriant de nouveau.
« Sortir de son goût »
Depuis 1995, il gère l’atelier Kaba avec lequel il multiplie les projets ambitieux au Japon ou dans le Grand Paris : jardins Albert Kahn à Boulogne-Billancourt, collège Denis Diderot à Aubervilliers ou exposition Zen au Petit Palais. Un travail sur le bois souvent, dans la tradition japonaise, dont il essaye tant bien que mal de s’extraire. « Ici, j’attends que quelqu’un amène quelque chose complètement différent de moi », explique-t-il. Son but : « sortir de son goût ». Pour cela, il a une méthode bien à lui. Il saisit une feuille, un crayon, et se met à découper une surface rectangulaire en 60 « logements » de toutes les manières possibles. Lignes, colonnes, spirales, cercles, observant toutes les possibilités en tentant de s’éloigner le plus possible de ses penchants naturels.
Sur le Grand Paris, son avis est tranché : « Étendre la ville, c’est dépenser une énergie énorme. Je préconise plutôt un réseau de villes autonomes de taille moyenne et un renforcement des transports en commun ». Il déplore une « écologie de symboles » ainsi que la transformation de Paris en « ville musée ». Pour le sexagénaire, « les musées sont des morgues à objets » qui tentent vainement de séparer le beau du laid.